Saturday 13 January 2007

Qu'est-ce que l'existence humaine?

Introduction
Cette dissertation portera sur la notion d'existence humaine, et cherchera à répondre à la question: Qu'est-ce que l'existence humaine? Dans le langage courante on ne distingue guère, semble-t-il, entre la notion d'existence et la notion d'être. Quand je dit que j'existe, je pourrais aussi bien, semble-t-il, avoir dit que je suis. Dans la philosophie, pourtant, y a-t-il une telle distinction? Et si oui, en quoi consiste-t-elle? Les deux premières parties de cette dissertation, titrées (1) existence en tant que notion ontologique et (2) existence en tant que notion éthique, portera sur ces questions et essayera de montrer comment la notion d'existence humaine se fonde sur une anthropologie, c'est-à-dire comment elle présuppose, dans une certaine manière, ce qu'est l'homme. La troisième partie, titré (3) l'existence kierkegaardienne, contiendra une brève explication de la conception kierkegaardienne de l'existence, et essayera de faire voir comment cette conception transcende la conception éthique d'existence.

Existence en tant que notion ontologique
On trouve dans les Méditations métaphysiques de René Descartes une formulation du soi-disant "Cogito cartésien", cette première connaissance dont le moi cartésien ne peut douter la certitude: "La proposition Je suis, j'existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je la conçois en mon esprit" (p. 73, ed. GF Flammarion). L'apparence ici du terme exister, dans cet écrit du XVIIième siècle, est intéressante. Dans un premier temps, il semble qu'il n'y a guère de différence entre l'exister et l'être. En plus, les deux termes sont conçus comme désignant le premier savoir possible, c'est-à-dire une connaissance première dont on ne peut pas douter.
Le verbe "exister", avec lequel correspond le substantif "existence", est ainsi conçu par Descartes tout d'abord comme une notion ontologique, c'est-à-dire une notion qui se rapporte à l'essence ("onto" (grec) et "esse" (latin) correspondent et signifient "être"). Le terme d'exister doit ainsi être interprété, non pas comme quelque chose qui se distingue de l'être, mais au contraire, comme le simple fait d'être. Tant que Descartes pense que cette essence de l'homme, c'est-à-dire ce que l'homme est véritablement et premièrement, est le penser, on pourrait dire que, selon Descartes, l'existence humaine se caractérise par la coïncidence de l'être et du penser. L'exister n'est pourtant pas pour Descartes un terme qui désigne quelque chose d'exclusivement humain; ce terme n'est pas en tant que tel ni identique, ni lié nécessairement au penser. Ce que montre que le monde extérieur chez Descartes existe effectivement en tant qu'étant étendu, en non pas en tant qu'étant pensant. Seulement, l'existence humaine est constitué par cette dernière coïncidence.
Or, on peut considérer, probablement avec raison, le projet cartésien comme un projet strictement intellectuel, c'est-à-dire que ce qui est cherché est le savoir certain. Et cela est peut être la raison pour laquelle le terme d'existence est rempli par le penser, l'outil même qui permet l'accès au savoir. Autrement dit, parce que le moi cartésien dans les Méditations métaphysiques se mis à chercher un savoir, il retrouve, au fond de ses recherches, lui-même en tant qu'un savant. C'est en ce sens que l'on peut accuser Descartes d'avoir se soumis à un présupposé non défendu, à savoir que l'homme, au fond, est un étant pensant qui cherche le savoir. Mais est cela le cas? L'homme n'est-il qu'un chercheur du savoir? ou est-il quelque chose de plus? Et s'il se présente comme quelque chose de plus, son existence ne sera-t-elle pas rempli d'un contenu différent?

Existence en tant que notion éthique
On peut, suivant Johan G. Fichte et Søren Kierkegaard, essayer de remplacer l'homme en tant qu'un étant pensant par l'homme en tant qu'un étant agissant. L'homme sera donc tout d'abord un agent qui fait quelque chose dans le monde. Cette accentuation du faire implique un glissement de problématique par rapport à ce que rencontre le chercheur du savoir de Descartes: la question fondamentale pour un agent qui est en train de faire quelque chose, ne sera en effet pas "que sais-je?" mais "que dois-je faire?" et donc, parce qu'une action toujours est fait par quelqu'un et dirigée vers quelqu'un ou quelque chose: "comment dois-je, en tant qu'agent, me rapporter à moi-même et a ce vers lequel mon action tend?" Quand bien même la réponse à ces dernières questions requiert un certain savoir, il ne s'agit pas ici d'un savoir théorique, mais d'un savoir pratique. La notion de faire semble d'ailleurs, d'un certain point de vue, être plus fondamentale que celle du savoir. Même le penser, qui constitue l'existence du moi cartésien, c'est aussi un faire, n'est qu'une des plusieurs attitudes humaines possibles. En autres mots, le penser implique nécessairement le faire, tandis que le faire n'implique pas nécessairement le penser, et il semble donc évident, parce que le notion de faire est plus fondamentale que celle de penser, qu'avant de se mettre à chercher le savoir théorique, il faut le choisir en se demandant pourquoi et comment on devrait le faire. Et cette dernière question ne requiert pas une recherche analytique et une réponse descriptive, mais plutôt une recherche délibérative et une réponse normative. Autrement dit, en cherchant ce qu'est l'existence humaine, la recherche ontologique objective dans le champ de la théorie sera remplacée par une recherche éthique subjective dans le champ du pratique, et l'homme existant se transforme du coup d'un être pensant et sachant en un être choisissant et agissant. L'existence n'est donc plus caractérisé tout d'abord par la coïncidence de l'être et du penser, mais par la coïncidence de l'être et du faire, tandis que le penser sera dévalué, pour ainsi dire, jusqu'à un certain mode du faire.

L'existence kierkegaardienne
En se posant les questions "que dois-je faire?" et "pourquoi et comment dois-je le faire?" on semble avoir présupposé, au moins, que l'on doit faire quelque chose et que l'on doit le faire d'une certaine manière. En outre, cette question semble présupposer que l'on possède en soi-même une capacité de choisir et donc, une certaine liberté. En effet, si l'on n'avait aucun liberté et si, en conséquent, on n'avait pas de choix, il ne vaudrait pas la peine ni de se poser ces questions, ni d'en chercher la réponse. D'où on peut tirer que l'homme agissant qui se pose ces questions fondamentales, est responsable, et, en étant responsable, sera contraint de se rapporter à son action dans une manière délibérative (délibération est ici compris comme l'action interne d'un agent qui précède et détermine le choix de ce même agent). On pourrait néanmoins s'imaginer quelqu'un qui, tout en faisant quelque chose, refuse ou oublie de se poser ces questions. Un tel homme, c'est à dire un homme qui refuse ou oublie de choisir délibérativement, vit dans ce que Kierkegaard appelle la sphère esthétique (cela n'a pourtant rien à voir avec la signification moderne du terme). Selon Kierkegaard, il y a plusieurs façons de vivre dont la façon esthétique en est la plus basse, parce qu'elle implique un oubli ou un refuse de son propre existence. L'esthéticien mène une vie qui ne se rapport qu'à l'extérieur, et ses actions ne sera donc pas déterminées par des vrais choix, c'est-à-dire des choix qui se réfère au soi fondamental d'un individu responsable, mais seulement des quasi-choix déterminés par les désirs éphémères et les passions immédiates et instantanés d'un agent indifférent et fondamentalement passif.
Un homme agissant qui, au contraire de l'esthéticien, se pose effectivement les questions "que dois-je faire?" et "pourquoi et comment dois-je le faire?" se trouve dans la sphère éthique, selon la hiérarchie kierkegaardienne. En se demandant ces questions fondamentale, et en prenant en compte le fait que son action dépend de son choix et que son choix, en son tour, dépend entièrement de lui-même, l'homme éthique entre dans un rapport délibératif avec soi-même. Il découvert ainsi, dans un premier temps, sa responsabilité, parce que l'homme délibératif voit qu'il, par son choix, sera l'auteur de ce qu'il est en train de faire. Dans un deuxième temps, il découvrira son existence propre. Il voit, en cherchant une réponse à ces questions fondamentales, que sa recherche ne vise pas une action quelconque (l'action esthéticienne), mais tout au contraire, qu'elle vise l'action qui répondra au "pourquoi" et au "comment" des questions. Or, au lieu d'examiner ces raisons d'agir jusqu'au bout, il décide de prendre ses choix conformément aux lois morales générales de la société. En se demandant, par exemple, "pourquoi ne dois-je pas tuer?" l'homme éthique répondra: "parce qu'il y a une loi qui nous apprend qu'il ne faut pas tuer," et, en s'appuyant ainsi aux lois générales et donc en renonçant à sa recherche délibérative, l'homme éthique perdra son individualité face à la généralité.
L'homme religieux, au contraire de de l'homme éthique, ne renoncera pas à chercher les raisons d'agir. Pour lui, les lois générales de la société ne suffisent pas et il poursuit sa recherche, par rapport, par exemple, à l'impératif "il ne faut pas tuer", la raison pour laquelle il ne le faut pas. Or, le problème est qu'il semble qu'il n'y a aucun réponses aussi définitives et précises dans le champ du pratique que dans le champ de la théorie pure. Tout le monde, semble-t-il, pourrait se dire d'accord avec la proposition: "En doutant, je ne peut pas douter de mon propre doute", parce qu'elle repose sur le principe de contradiction, tandis que ce sera très difficile, voire impossible, de trouver un principe qui suscitera un pareil accord dans le champ du pratique. (Je me permet de rappeler que le tribunal de 1re instance d'Iraq a récemment tué son ancien président). Même si quelqu'un allègue avoir trouvé un tel principe moral universel, il faut remarquer que les question "que dois-je faire?" et "pourquoi et comment dois-je le faire?" ne se pose pas seulement face aux problèmes moraux particuliers, mais peut se poser, et se pose effectivement à l'homme religieux, dans n'importe quel moment, n'importe quelle situation qu'il se trouve. D'où l'homme religieux découvert que ses raisons d'agir ne se laissent en effet pas expliquer par des raisons. En voyant ainsi que ses raisons d'agir transcendent la domaine de la raison, il sera forcé d'appuyer ces raisons à un certain foi. Au lieu de répondre, face à la question "pourquoi ne dois-je pas tuer?" "parce qu'il y à une loi qui nous apprend qu'il ne faut pas tuer", il réponds "parce que je crois qu'il ne faut pas tuer". Autrement dit, en cherchant le "Bien" (la notion classique, distinguée du "Vrai" et du "Beau") l'homme religieux le conçois comme un absolu, parce que ce Bien doit être fondé sur quelque chose qui se trouve au-delà de son pouvoir de raisonner et de comprendre, et sa recherche deviendra ainsi une recherche infinie et éternelle. D'ailleurs, l'homme religieux est contraint d'admettre qu'il, en vivant dans la temporalité ou la succession, n'y saisira jamais quelque chose de définitif ou d'éternel, parce qu'il voit que toute situation dans laquelle il se trouve est particulière et nouvelle et donc, qu'elles requièrent une certaine interprétation.
C'est à partir de cela que l'on peut comprendre Kierkegaard, lorsqu'il, après avoir se demandé ce qu'est l'existence, nous réponds: "[L'existence] est cet enfant qui a été engendré par l'infini et le fini, par l'éternel et le temporel, et qui, en conséquence, est constamment s'efforçant" (Post Scriptum, SV3 IX, p. 79-80/OC X, p. 87). L'homme religieux se trouve alors dans une position intermédiaire entre l'éternel et le temporel, c'est-à-dire qu'il entend les exigences morales ou éthiques qui s'impose à lui tout en étant incapable d'expliquer pourquoi et exactement comment il faut les suivre, et donc, qu'il ne sera jamais capable de les accomplir.

Conclusion
On peut s'arrêter ici et conclure que l'existence humaine se dit en plusieurs sens qui sont liés, l'un et l'autre, à une conception de l'homme. D'un côté, c'est une notion ontologique, c'est-à-dire une notion qui désigne l'essence ou l'être de l'homme. En ce sens, il n'y a guère de différence entre l'être humain et l'existence humaine, et l'existence humaine pourrait être expliqué dans une manière purement théorique. On a vu qu'une telle conception de l'existence humaine présuppose que l'homme, au fond, est un savant. De l'autre côté, c'est une notion éthique, c'est-à-dire une notion qui désigne le rapport entre l'homme et ses actions. Une telle conception abandonne la présupposition que l'homme au fond est un savant, tout en adoptant une nouvelle, à savoir que l'homme tout d'abord est un agent. En présupposant que l'homme est un agent qui fait quelque chose dans le monde, l'existence humaine deviendra la coïncidence entre l'être et le faire. On a vu comment cette conception d'homme implique, d'abord, une conception éthique de l'existence et ensuite, comment la conception Kierkegaardienne d'existence transcende effectivement cette domaine éthique, en insistant sur l'incompréhensibilité profonde des exigences morales ou éthiques.

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